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Recompositions politiques en Europe : trois exemples significatifs
Cours social-libéral des Partis Socialistes, accélération de la normalisation des partis Verts sous l’égide du projet néo-centriste dit « green deal », mais aussi crise d’orientation de ce qui reste des partis communistes ainsi que de plusieurs forces significatives de la gauche radicale : la situation des forces de transformation sociale n’a rien d’un long fleuve tranquille à l’heure de la crise économique et financière généralisée.
A quelques mois des élections européennes, il n’est donc pas inutile de procéder à un regard sur quelques expériences de regroupement et recompositions se plaçant sur le terrain de la conjonction de l’écologique et du social. Les éléments d’information et d’analyse qui suivent ne sont bien sûr pas exhaustifs (d’autres situations nationales auraient pu être décrites) ; mais à l’heure où les partis Verts approfondissent pour l’essentiel leur encrage au centre gauche et leur coupure avec les mouvements sociaux, au moment où les regards d’une certaine gauche radicale se focalisent unilatéralement sur Die Linke, ce coup de projecteur pourra s’avérer non sans rapport avec « notre » situation.

Synaspismos et Syriza : les chemins de la gauche radicale grecque
Le parti Synaspismos ou Syn (initialement Coalition de la Gauche et du Progrès) s’est constitué en 1992 au fil de la longue histoire du courant « eurocommuniste » grec dit aussi « communiste de l’intérieur ». Depuis la fin des années 1960, la Grèce se caractérisait donc par l’existence de deux partis communistes, l’un dit « de l’extérieur » en référence à Moscou, l’autre « de l’intérieur » ayant épouse les thèses eurocommunistes des années 1970. Ce courant finira par abandonner la dénomination communiste (il s’appellera tout un temps Gauche Héllénique) avant de choisir la forme de « coalition » au début des années 1990.
Doté d’une audience limitée mais significative (entre 3 et 6%) au regard de l’ossification du panorama politique grec), la Coalition possède au cours des années 1990 le profil de nombreux partis politiques post-communistes tels qu’il en existe en particulier en Europe du Nord. Il se rapproche par exemple du Parti de la Gauche Européenne, structure transnationale mise en place par de nombreux partis communistes, tout en participant aux rencontres de la gauche anticapitaliste qui réunit les formations d’extrême gauche essentiellement issues du trotskisme et les divers fronts qu’elles impulsent.
Deux tournants interviennent cependant au cours des premières années 2000. En 2003, Syn change de dénomination pour devenir « coalition de la gauche, des mouvements et de l’écologie » ce qui n’est évidemment pas qu’un changement sémantique. Puis à compter de 2004 elle impulse le regroupement électoral Syriza (Coalition de la Gauche radicale) en compagnie de multiples petites composantes. Lister celles-ci serait fastidieux : notons la présence de nombreuses sous-composantes trotskistes [1], d’un groupe écolo, d’une vieille scission du Pasok, de groupes issus de la mouvance communiste orthodoxe et même d’une ancienne scission « rénovatrice » de la Gauche Hellénique elle-même. Au delà de cet inventaire, c’est le profil politique général de Syn qui s’en trouve modifié par à la fois la prise en compte plus grande des thématiques écologistes, la présence plus affirmée dans les mouvements sociaux à commencer par ceux de la jeunesse, la radicalité, tout en assurant une présence significative au niveau local puisque Syn est le troisième parti grec au niveau des élus locaux.
Par ailleurs, la personnalité la plus connue de Syn, Alexis Tsipras (quelquefois considéré comme le Besancenot grec !) a été par ailleurs élu conseiller d’Athènes à la suite des 10,5% obtenus par une liste alternative « ouverte » qu’il a conduit. Olivier n’en est pas là !
Les résultats électoraux, dans le contexte grec, sont encourageants puisqu’après avoir franchi de justesse le seuil de 3% requis pour obtenir des députés en 2000 puis 2004, Syriza obtient plus de 5% aux élections de 2007 (soit 14 députés dont 10 issus de la composante Syn). A signaler un peu pour l’anecdote qu’à l’occasion de ce dernier tour électoral la composante Verte-écologiste obtient un historique 1,05%.
Syn (et autour d’elle Syriza) constitue donc aujourd’hui une de ces composantes politiques de gauche qui, en Europe, ne peuvent se résumer à une identité (gauche post-communiste/écologie politique/gauche radicale) mais participent un peu de chacune.

Catalogne : ICV : Du communisme à l’écologie ?
Les chemins qui ont conduit à la constitution d’ICV (Iniciativa per Catalunya-Els Verds) possèdent quelques ressemblances, mais aussi des points de nuance importants, avec le cas de figure grec.
De profil généralement eurocommuniste, le PCE impulse une coalition dite IU (Izquierdza Unida) depuis la seconde moitié des années 1980. Dans le contexte spécifique du mouvement communiste catalan (dénomination non communiste du PSUC, scission orthodoxe du PCC, importance de la question nationalitaire) ce regroupement se dénomme Iniciativa per catalunya dès le début des années 1990.
Alors qu’IU connaît un succès contrasté dans l’Etat espagnol, son homologue catalan trouve peu à peu sa place dans un paysage politique de gauche qui compte pourtant un acteur « catalaniste » particulier : le vieux parti nationaliste de gauche ERC.
— IpC cesse peu à peu de faire référence à IU à tel point que le Parti Communiste espagnol tentera de constituer un regroupement concurrent, mais celui-ci ne verra vraiment le jour qu’autour de militants d’extrême gauche orphelins de tout cadre politique depuis l’implosion du regroupement issu de la fusion entre les deux dernières forces d’extrême gauche espagnoles : le MCE et la LCR. Ce courant constitue aujourd’hui EuiA (Gauche unie et Alternative) et il se présente aux élections en commun avec ICV !
Initiativa développe donc un profil politique particulier et se saisit des thématiques écologistes en particulier. Il s’ensuit la fusion avec le petit groupe Els Verds, seul représentant tangible de l’écologie politique en Catalogne.
Sous cette dénomination, ICV obtient jusqu’à 5,8% aux élections législatives, ce qui contraste avec le tassement continu d’IU. Aux élections de 2008, ce score se tassera à 4,9% mais ICV échappera cependant à la débâcle touchant IU au plan de la péninsule (1 élu sur 2 de cette coalition est d’ICV). Comme chacun sait, ICV obtient également un élu européen, Raul Romeva, élu en 2004 dans le cadre du partenariat avec IU mais qui s’affiliera au GVPE.
L’autre trait marquant d’ICV est sa participation à l’exécutif catalan dans une coalition regroupement également PSC et ERC. Cette situation (en dehors de la majorité madrilène, mais dans sa déclinaison catalane) pose un sérieux problème de lisibilité politique : force est cependant de constater que des trois composantes, c’est ICV qui a le mieux résisté électoralement lors du récent tour de 2008.
Une nouvelle difficulté attend cependant ICV : forte de son origine singulière, et de son positionnement hétérodoxe (ICV s’est prononcé pour le non au TCE), l’organisation s’est rapproché du PVE et y a adhéré. La solidité politique d’ICV lui permettra-t-elle, au delà de ses origines post communistes, de ne pas accompagner la dérive néo-centriste du Parti vert Européen ? L’avenir proche le dira ; l’exemple de Groen Links montre cependant qu’une origine « à gauche » ne préserve pas nécessairement des sirènes écolo-libérales !

Portugal : le Bloc de Gauche tisse sa toile
Le Bloc de Gauche (BE – Bloco do esquerra en portugais) a été créé au début 1999 en tant que front permanent de trois organisations, ouvert à des non affiliés :
 le PSR, c’est à dire la section portugaise de la IVe Internationale
 l’UDP, dernière organisation politique portugaise d’origine maoiste, qui a longtemps disposé d’un élu au Parlement
 Politica XXI, groupe issu du Parti Communiste (l’un des plus néo staliniens d’Europe) et de l’une des ses organisations satellites, le MDP.
Le travail en commun de ces organisations remonte en fait au début de la décennie ; toutefois, sa formalisation fut retardée par des tactiques politiques divergentes au niveau des municipalités. Le PSR et P21 privilégiaient en effet la constitution de listes alternatives (sous le label Gauches Unies dès 1997), l’UDP prônait quant à elle la participation aux listes unitaires de la gauche parlementaire.
Lorsque cette dernière organisation infléchit sa pratique au niveau municipal, les conditions furent d’emblée créées pour la constitution du BE.
Dans un paysage politique portugais figé de longue date entre quatre composantes, le BE réussit immédiatement une percée en obtenant 2 députés nationaux et de nombreux élus locaux (aux deux niveaux électifs locaux portugais). Son score suivit entre 1999 et 2007 une pente globalement ascendante (élections nationales et européennes uniquement – les scores sont supérieurs dans de nombreuses localités) entre 2,7% et prés de 7%. Le BE fut y compris en capacité de dépasser à deux reprises les 5% aux élections présidentielles.
Sur le plan politique, les identités préalables ont été graduellement dépassées et le BE constitue un outil politique unifié. Les composantes initiales n’existent plus sous cette forme. Même les partisans portugais de la IVème Internationale se sont rabattus sous une forme « associative ». Le BE s’est également doté d’intéressants textes de référence. On mettra par exemple en exergue le texte adopté en 2003 sur les questions européennes. L’ »européisme de gauche » dont se prévaut le BE dans ce document et la logique propositionnelle qui le soustend tranchent en effet agréablement avec les incantations sur l’Europe des travailleurs, si souvent abstraites, qui sont le lot des formations de l’extrême gauche traditionnelle. Le travail parlementaire du BE a également largement consacré à des thématiques diversifiées (y compris écologiques) et le Bloc a joué un rôle politique majeur dans les combats y compris référendaires contre une législation particulièrement rétrograde en matière de droit à l’avortement.
Au niveau international, le BE – qui dispose d’un élu au Parlement Européen affilié au groupe GUE-GVN – se positionne à l’intersection du Parti de la Gauche Européenne, qui regroupe plusieurs PC et ex-PC, et des forces regroupées dans la GACE (Gauche Anticapitaliste européenne). On peut d’ailleurs noter, ce qui n’est pas sans signification, que le BE ne s’est pas associé à la dernière conférence de la GACE, marquée par un raidissement certain de cette dernière autour d’une identité « révolutionnaire » qui la coupe de la plupart des expériences de coalitions de gauche radicale.
Quid de l’écologie dans tout cela ? Dans le contexte portugais ou le groupe national « Vert » (Os Verdes) ne constitue qu’un pseudopode du PCP depuis de longues années (situation qui contribue au discrédit de l’écologie politique), le BE participe à un verdissement relatif du paysage politique, sans qu’à ce constat soit associé un quelconque courant spécifique interne, ni une systématisation des acquis de l’écologie.
Sans se livrer à quelque prédiction que ce soit, on peut cependant attester que le BE ne pourra être étranger à tout facteur de recomposition global, sur le plan continental, des forces de la gauche radicale et de l’écologie.

Au terme de ce bref panorama, et à quelques mois des élections européennes, on pourra peut être se convaincre de la richesse et de la diversité d’expériences internationales trop méconnues. On pourra par ailleurs, poursuivre ce cheminement politique, en particulier s’agissant des différentes composantes nationales de la Gauche Verte Nordique. Dans une prochaine livraison d’Ecologie Solidaire ?

Patrick Serand

[1Ici comme ailleurs le petit groupe grec de la IVe internationale éclate sur la participation ou non à ce rassemblement.

 

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