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Déroute à l’italienne (suite)
A propos des questions soulevées par Stéphane Sitbon

Dans sa réaction à l’article de notre lettre concernant l’Italie, S. Sitbon évoque des questions complexes sur lesquelles il est utile de revenir même si elles sont difficiles à traiter en quelques mots.
D’abord la situation de la gauche radicale (et/ou verte) ne se réduit pas aux échecs espagnols ou italiens qui font même figure d’exceptions dans le panorama européen. Si l’on connait bien maintenant l’émergence de "Die Linke" chez nos voisins allemands, c’est le "Parti Socialiste" hollandais (16,6%) qui détient le record. Mais dans toute l’Europe du Nord s’affirme une gauche écologiste et issue souvent de la décomposition des PC locaux : Parti Socialiste Populaire et Alliance rouge/verte au Danemark, Parti Socialiste de Gauche en Norvège, Parti de la Gauche en Suède. Au Portugal, le Bloc des gauches (extrême-gauche) talonne le PC comme la coalition autour de Synapsismos en Grèce.
A l’inverse, en Autriche, Belgique (en net recul) et Luxembourg les Verts constituent la seule force crédible à la gauche de la social-démocratie. Au total un paysage contrasté où se mêlent succès et stagnation largement en lien avec le mode de scrutin (majoritaire ou proportionnel) et la dramatisation de l’affrontement droite/gauche. Dans ces conditions, il serait pour le moins rapide de conclure à l’effritement d’un modèle "vieille gauche" auquel succèderait presque naturellement le nouveau paradigme vert.
Beaucoup plus sensible, s’avère l’analyse des "métamorphoses" du capitalisme et des adaptations auxquelles nous devrions procéder. Je considère que le capitalisme contemporain se caractérise en premier lieu par un phénomène de régression. Par le passé, chaque phase de crise trouvait son issue dans une avancée de la socialisation et la mise en place de régulations constituant en quelque sorte un dépassement (pour aller vite, le keynésianisme et le fordisme). Aujourd’hui la réponse à la crise de valorisation du capital des années 70 est non pas un pas en avant dans la modernité, mais un pas en arrière dans le retour à des rapports sociaux du début du XXe siècle. Plutôt qu’un capitalisme "cognitif" où la pensée serait devenue force productive, on a affaire à un système d’exploitation qui s’inspire des bonnes vieilles méthodes d’avant-guerre habillées néanmoins d’un discours adapté. Ainsi des licenciements deviendront "plan de sauvegarde de l’emploi", le retour en arrière "réforme", la loi du plus fort "primauté de l’individu sur le collectif", etc.
Cette formidable régression sociale ne se limite évidemment pas au terrain économique. Elle est aussi à la source de la montée des intégrismes et du repli sur soi, de la frénésie consumériste et de l’individualisme triomphant. Comme le mentionne Daniel Bensaid dans son dernier ouvrage (éloge de la politique profane) : à la place des classes et des luttes on a les plèbes et les multitudes anomiques, à la place des peuples, les meutes et les tribus, à la place des partis, le despotisme de l’opinion.
Dans ces conditions, il est impératif, non pas d’accompagner de manière a-critique "ce qui bouge" dans la société, mais d’identifier ce qui peut constituer un point d’appui pour une transformation de ce qu’il est nécessaire de combattre avec la plus grande énergie.

Jean-Pierre Lemaire
 

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