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Le ras le bol des DOM TOM
Difficile d’ignorer l’information : ça va mal dans les DOM-TOM, à commencer par la Guadeloupe où les négociations traînent après 6 semaines de grève.
Mais ce que les médias officiels oublient de nous dire, c’est que le problème ne porte pas seulement sur le coût de la vie et sa résolution ne dépend pas seulement de l’attribution d’une augmentation de salaire, fut-elle de 200 €.

Car la réalité est bien plus complexe : au-delà du pouvoir d’achat, il s’agit de profonds malaises entre les autochtones et la métropole, mais aussi, localement, entre les exploitants et les exploités, les possédants et les possédés. Histoires de monopoles (essence, alimentation), de colonialisme pas encore digéré, de couleur de peau...

Encore une fois, il s’agit de frustrations, et encore une fois, parmi ces frustrations certaines sont légitimes (reconnaissance de l’histoire et de la dignité des populations locales, injustices sociales) et d’autres sont artificielles (désir de consommer et vivre à l’européenne).

Mais les journaux télévisés préfèrent se cantonner au simple pouvoir d’achat. Comme si l’argent était le problème ET la solution.

Ces derniers jours deux textes ont circulé sur le Web, qui nous disent, chacun à sa façon, qu’il existe un potentiel pour changer les choses, à la Guadeloupe et ailleurs. Que certains esprits sont mûrs pour trouver une façon de vivre différente, mieux adaptée aux possibilités locales, moins dépendante des monopoles locaux ou métropolitains.

Le premier texte, « Manifeste pour les "produits" de haute nécessité » a été rédigé par neuf intellectuels de Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion. En voici un extrait remarquable :

« [...] Il y a donc une haute nécessité à nous vivre caribéens dans nos imports-exports vitaux, à nous penser américain pour la satisfaction de nos nécessités, de notre autosuffisance énergétique et
alimentaire. L’autre très haute nécessité est ensuite de s’inscrire dans une contestation radicale du capitalisme contemporain qui n’est pas une perversion mais bien la plénitude hystérique d’un dogme. La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d’une société non économique, où l’idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle d’épanouissement ; où emploi, salaire, consommation et production serait des lieux de création de soi et de parachèvement de l’humain. Si le capitalisme (dans son principe très pur qui est la forme contemporaine) a créé ce Frankenstein consommateur qui se réduit à son panier de nécessités, il
engendre aussi de bien lamentables "producteurs" - chefs d’entreprises, entrepreneurs, et autres socioprofessionnels ineptes - incapables de tressaillements en face d’un sursaut de souffrance et de l’impérieuse nécessité d’un autre imaginaire politique, économique, social et culturel. Et là, il n’existe pas de camps différents. Nous sommes tous victimes d’un système flou, globalisé, qu’il nous faut affronter ensemble. Ouvriers et petits patrons, consommateurs et producteurs, portent quelque part en eux, silencieuse mais bien irréductible, cette nécessité qu’il nous faut réveiller, à savoir : vivre la vie, et sa propre vie, dans l’élévation constante vers le plus noble et le plus exigeant, et donc vers le plus épanouissant. Ce qui revient à vivre sa vie, et la vie, dans toute l’ampleur du poétique. On peut mettre la grande distribution à genoux en mangeant sain et autrement.
On peut renvoyer les compagnies pétrolières aux oubliettes, en rompant avec le tout automobile. On peut endiguer les agences de l’eau, leurs prix exorbitants, en considérant la moindre goutte sans attendre comme une denrée précieuse, à protéger partout, à utiliser comme on le ferait des dernières chiquetailles d’un trésor qui appartient à tous. On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété.
Rien de ces institutions si arrogantes et puissantes aujourd’hui (banques, firmes transnationales, grandes surfaces, entrepreneurs de santé, téléphonie mobile...) ne sauraient ni ne pourraient y résister. [...] »

L’autre texte, plus prosaïque celui là, est extrait d’un message qu’un étudiant guadeloupéen a envoyé à ses amis en métropole :

« [...] Un ami métropolitain m’a appelé aujourd’hui pour me demander si on tenait le coup. Au début j’ai commencé à répondre que malgré la durée du conflit, la mobilisation était toujours de mise. Il me coupe : "Non, je voulais dire... Arrivez vous à remplir le réfrigérateur" !!
La Guadeloupe est en grève générale depuis bientôt 4 semaines. Les hyper marchés et super marchés sont fermés. En revanche les petits commerces de proximités sont ouverts, mais les rayons des magasins sont de plus en plus vides...
MAIS : La Guadeloupe s’organise. L’UPG (Union des Producteurs Guadeloupéens) ainsi que les pêcheurs font parti du LKP. Les poissons ne sont pas en grève : les pécheurs continuent à pêcher et à vendre leur poisson. Les animaux ne sont pas en grève : les éleveurs continuent à s’en occuper et à vendre leur viande. La terre n’est pas en grève : les cultivateurs continuent à travailler leurs exploitations et vendent leur denrées. Notre réfrigérateur n’a jamais été aussi plein.
Les hyper marchés sont fermés, mais les marchés sont ouverts. Il y a mieux : des marchés populaires sont organisés devant les piquets de grève et un peu partout. Les producteurs y vendent leur denrées aux prix auxquels ils ont l’habitude de vendre aux super marchés.
Conséquence : ils ne perdent pas leur récolte ni leur revenus, et le porte feuille du consommateur apprécie puisque les marges exorbitantes de la grande distribution ne sont plus là.
Nous mangeons à notre faim et -fait intéressant- nous n’avons jamais autant consommé local !!
Je n’ai pas de purée mousseline, je n’ai plus de pâtes panzani... et alors ? J’ai des tubercules, des légumes, de la viande, du poisson, des fruits frais, des fruits secs, des fruits de mer... Et ça coûte moins cher que d’habitude.
En fait, je crois que je n’avais jamais mangé aussi équilibré de ma vie. [...] »

Cela donne l’impression qu’il ne manque pas grand chose pour que les antillais se lancent dans l’expérimentation d’un mode de vie autonome et respectueux de la nature et des humains !
Pour ça, comme disent les décroissants, il faudra décoloniser les esprits, accepter de ne plus vivre pour l’avoir mais pour l’être.
Ce serait une bien jolie pirouette historique que ce soient les descendants d’esclaves qui nous montrent le chemin vers la liberté !

Xavier Lhomme
 

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